Vendredi 10/12/2021, le Parlement a auditionné le Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Sammy Mahdi, le directeur de l’Office des Étrangers Monsieur Roosemont et le directeur du CGRA Monsieur Van den Bulck, nommé envoyé spécial durant les dernières heures de la grève de la faim.
Retour sur mon intervention accompagné de quelques explications.
1.
Grève
Le 21 juillet dernier se termine l’une des plus longues grèves de la faim que notre pays ait connues. 470 personnes grévistes décident de mettre fin à une grève de la soif et suspendre une grève de la faim. Le mouvement, réparti entre l’ULB, la VUB et l’Église du béguinage, arrête son action en annonçant un accord avec le Secrétaire d’État et l’Office des étrangers.
Dans cet accord, des « lignes directrices » pour l’appréciation d’une éventuelle régularisation des grévistes ont été rappelées. En effet, via la procédure « 9bis », des personnes sans-papiers ont la possibilité de bénéficier d’une « faveur » et d’être régularisées sous l’appréciation discrétionnaire du Secrétaire d’État. L’Office des étrangers analyse de manière individuelle les requêtes des grévistes et octroie, ou non, un titre de séjour.
2.
Paroles
La difficulté est que finalement, personne ne connaît vraiment les raisons pour lesquelles un dossier va recevoir un avis positif ou être refusé. C’est sur cet aspect que les dernières réunions entre des représentants des grévistes, Sammy Mahdi et l’Office des étrangers se sont concentrées dans les dernières heures.
Au cours des derniers moments de la grève, l’Office des Étrangers (OE) et le Secrétaire d’État ont expliqué que des « lignes directrices » existaient pour apprécier les dossiers, et que des éléments positifs, tels que l’ancrage, l’intégration, la connaissance de la langue, le fait d’avoir des enfants, etc. étaient analysés au regard d’éléments négatifs.
Dans une vidéo publiée sur le site du Morgen, on aperçoit le directeur de l’Office des Étrangers expliquer aux grévistes qui ne croient pas en cette possibilité de 9BIS « Si on parle individuellement, je suis moins sûr que vous, je viens de discuter au béguinage avec deux trois personnes, si j’analyse bien ces 2, 3 cas, ce sont tous des cas positifs ».
Les grévistes sont dès lors encouragés à déposer des dossiers individuels, motivés par l’annonce d’une série « d’éléments positifs », de « lignes directrices » d’un « cadre de référence » qui devrait aboutir à un taux important de personnes régularisées. C’est la raison pour laquelle la grève de la faim se termine, l’espoir que leur dossier sera traité surtout en prenant en compte leur “ancrage favorable.
Entre le 21 juillet et les premières décisions, des avocats travaillent d’arrache-pied pour constituer les dossiers les plus solides sur base de ces lignes directrices rappelées. Les premiers résultats tombent en octobre. Ils sont pour la plupart négatifs. D’autres arrivent, et le sentiment d’injustice, de s’être fait rouler s’installe.
3.
Des
réunions
?
Mon intervention s’est déroulée en deux parties : la première avait pour but de comprendre le déroulé des derniers jours avant l’annonce de l’arrêt de la grève de la faim, la seconde essayer de comprendre comment le traitement des dossiers se fait à l’Office des Étrangers, qui décident de quoi, et sur quelle base.
Pourquoi avoir considéré qu’il ne s’agissait pas de réunion de négociations, mais uniquement de réunion d’information alors qu’elles ont duré des heures et que des avocats en droit des étrangers, par définition bien plus spécialistes sur la question que n’importe qui, connaissaient la réalité ?
Qu’est-ce qui est dit ? Est-ce que le SE a bien expliqué que « S’ils sont en Belgique depuis plusieurs années et qu’ils sont bien intégrés, dites-leur d’introduire une demande de régularisation, ils ont de bonnes chances d’être régularisés » et est-ce que Freddy Roosemont a bien entendu et confirmé cela ? À partir du moment où vous savez que les dossiers sont constitués sur ces lignes directrices par des avocats, est-ce que de nouvelles réunions sont programmées afin de clarifier vos positions ? Vous avez dit « ne pas donner de faux espoirs », est qu’est-ce que vous comprenez que cela ait suscité de faux espoirs ? Est-ce qu’à un moment un warning est mis sur une éventuelle mauvaise compréhension entre le 21 juillet et les premières décisions ? Est-ce que vous reconnaissez, comme le suggèrent beaucoup de personnes, qu’il y a un décalage entre la manière dont les lignes directrices ont été annoncées et les décisions négatives qui tombent depuis des semaines ?
Ces questions avaient pour but de m’éclaircir sur les intentions des uns et des autres. Par ailleurs, il s’agissait de faire comprendre que, quels que soient la raison de l’attitude et des propos tenus lors de cette réunion, les négociateurs et les sans-papiers ont le sentiment d’avoir été trompés.
Le père Daniel, habitué de plus de 10 négociations, a expliqué que c’était la première fois où il se sentait floué comme cela.
4.
Critères
flous
Si ces auditions devaient apporter de la clarté pour les sans-papiers en grève de la faim, elle avait aussi pour but de comprendre comment fonctionnait l’Office des Étrangers et ces fameuses “ lignes directrices” appliqués pour les 9Bis.
Il faut bien comprendre en quoi la situation est inédite: cela fait des années que nous demandons des critères dans la loi afin de savoir qui peut prétendre à une régularisation (critères que nous n’avons pas obtenus dans l’accord de gouvernement) et que les avocats demandent aussi ces critères, ou du moins une transparence. Jusqu’ici, l’Office des Étrangers niait l’existence de critères et expliquait qu’il s’agissait juste d’un pouvoir discrétionnaire laissé à l’appréciation du SE.
Sauf qu’ici, les “lignes directrices” qui ont été rappelées aux sans-papiers sont bien des critères, et que du coup, leur non-publication pose question dans un État de droit.
Soit ces critères existent et sont appliqués à tous, soit le fait qu’ils soient appliqués ou non à telle personne et pas à une autre rend la décision arbitraire.
Le fait d’avoir une lecture des décisions négatives et des justifications sur un grand nombre de dossiers ( les personnes sans-papiers en grève de la faim) a montré des incohérences évidentes, un manque de transparence ou pire, le caractère complètement aléatoire des décisions.
5.
Refus
Il y a quelques semaines, une “note administrative » de l’OE fuitait dans la presse. Elle reprenait le dossier de N, une femme sans-papiers présente au béguinage, et listait tous les éléments positifs de son dossier : preuves d’intégration de plus de 10 ans, connaissance de la langue, deux promesses d’embauches ainsi que d’autres éléments positifs Le document exprimait “ néant” sur les éléments négatifs. La décision finale de la main du Directeur de l’Offices des Étrangers : négatif.
Certaines justifications qui explique un refus sont justes incroyables :
« Le fait de s’intégrer dans le pays est une attitude tout à fait normale de toute personne qui souhaite rendre son séjour plus agréable”
Si une femme sans papiers travaille des années à laver des chambres d’hotels, à récurer des toilettes, vous considérez que cela a pour but de rendre son séjour agréable ou de l’intégrer ? Si un homme est exploité à 3 euros de l’heure sur un chantier, est-ce que c’est pour son plaisir ou pour son intégration?
“Madame indique que son ex-mari était violent, elle n’indique aucun élément probant pour le démontrer”
Qu’est-ce qu’un élément probant pour une femme qui a subi des violences conjugales ? Des ecchymoses restées sur le corps ? C’est regrettable que dans un moment où le monde politique annonce vouloir lutter contre les violences conjugales on demande encore des “éléments probants” de violence conjugale.
6.
Eléments
négatifs
Venons-en aux éléments négatifs utilisés pour refuser des dossiers qui sont juste ridicules et incohérents.
“La personne n’a jamais cherché à travailler légalement “
Sans blague, ils sont sans papiers. Par définition, ils/elles n’ont pas droit à prétendre à un travail légal et c’est bien la raison pour laquelle des dizaines de milliers de personnes sont exploitées au noir, c’est bien la raison pour laquelle nous demandons une régularisation des sans-papiers.
“La personne est restée illégalement en Belgique”
En fait, c’est bien la raison de l’existence de cette “faveur” qu’est la régularisation 9bis; permettre à des personnes qui ont reçu un refus sur base d’une autre procédure, d’introduire une demande. Ces personnes sont donc par définition illégales quand elles font leur demande de 9bis.
« Les personnes ont reçu un ordre de quitter le territoire »
Oui, toutes les personnes qui ont reçu un négatif reçoivent automatiquement un ordre de quitter le territoire…
Les refus des dossiers rentrés par les sans-papiers et les justifications utilisées nous amènent à ce constat : il y a bien des critères à l’Office des étrangers, et personne…ni les avocats, ni les députés, ni les sans-papiers en Belgique ne comprennent comment ils sont appliqués, par qui, comment la balance entre éléments positifs et négatifs est appliquée, qui décide de quoi ?
Ce n’est pas acceptable dans un État de droit. C’est même une honte. C’est bien la raison pour laquelle le Parlement doit entamer des auditions sur la mise en place de critères clairs et transparents pour la régularisation.
7.
Pour
clôturer
En conclusion de mon intervention, j’ai répondu aux accusations de la droite qui considère que nous, députés de gauche , avons stimulé par notre présence cette grève de la faim , que nous avons pu “donner de faux espoirs”.
Qui s’est rendu dans les occupations pendant des jours pour regarder dans les yeux ces personnes oubliées et leur dire que leur mort ne changerait rien à la politique migratoire en Belgique ?
Qui a été dire à ces personnes qui survivent en Belgique comme elles le peuvent que leur revendication ne correspondait pas à la réalité politique belge aujourd’hui ?
J’ai pris mes responsabilités comme député. Aujourd’hui, j’appelle notre Parlement à prendre ses responsabilités à son tour, à cesser des jeux politiques électoralistes, à faire ce pour quoi nous sommes élus et par ailleurs payés,
Nous demandons la fin de l’opacité.
Nous demandons de la transparence.
Nous demandons que les sans-papiers reçoivent un minimum de dignité.
Nous demandons que les avocats puissent faire le travail correctement.
Nous demandons une politique migratoire juste, correcte, humaine et transparente.