Billet d’humeur – l’étrange nouvelle semaine

Lundi, la semaine commence mal. On apprend que certaines brasseries belges tournent au ralenti, faute de personnel. La chaîne de production va ralentir, les bars risquent de ne pas être fournis et les prix augmenteront probablement prochainement (aussi du fait de la crise alimentaire).

Mardi, tu te rappelles que la pénurie dans les bars n’est pas du tout la seule pénurie à venir. Et certainement pas la pire. On annonce que les CPAS ne trouvent plus de personnel, plus d’assistants sociaux, plus d’aides ménagères, etc. La conséquence est que, face à l’arrivée possible de nouveaux allocataires sociaux, moins de personnel devra accueillir davantage de monde. De manière générale, la fonction publique trinque et les postes vacants sont nombreux.

Mercredi, dans un reportage au JT, les hôpitaux crient leur détresse sur le manque de personnel infirmier. Après deux ans de covid, même les plus courageux.euses s’en vont. Les revalorisations doivent se concrétiser, les conditions de travail s’améliorer. Mais problème : on n’a plus assez d’étudiant.e.s en soins infirmiers dans nos écoles. La pénurie va s’intensifier.

Jeudi, on débat énergie et isolation avec un ami qui a lancé son entreprise. On le sait, en dehors des petits jeux politiques qui fatiguent, l’isolation massive des logements publics est la meilleure réponse à Poutine : baisse de la demande, baisse du prix de l’énergie, baisse des factures de chauffage, baisse de la production de CO2. Mais à nouveau, plus de travailleurs disponibles. Rajoutons à ça l’explosion des matières premières et ça donne des chantiers parfois à l’arrêt faute de personnel.

Vendredi, je fonce chez le coiffeur au matin. Sa mine n’est pas très joyeuse : après une crise sanitaire de deux ans, la crise énergétique pourrait mettre fin à son activité. En plus de ça, le personnel manque. Beaucoup de coiffeurs passent à domicile : mieux payé et pas de facture énergétique à régler.

Samedi, c’est l’anniversaire de belle-maman, on va la fêter dans un resto des hauteurs dinantaise. Le couple qui gère l’établissement explique que « désormais, on ferme un dimanche sur deux et on réduit nos plages horaires. Plus de personnel pour servir en salle… on ne sait plus quoi faire ».

Dimanche, la Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Nicole De Moor, fait une interview, elle reconnaît elle-même que, dans le cadre de la crise d’accueil actuelle, le challenge n’est pas tant de trouver des infrastructures d’accueil, mais surtout du personnel. 4000 places = 800 personnes à engager.

Étrange, c’est pourtant cette même Secrétaire d’État et 85 % du monde politique en Belgique qui considèrent qu’un.e exilé.e, parfois présent depuis 15 en chez nous, ne pourrait pas postuler à l’un de ces métiers en pénurie (et il y en a beaucoup d’autres) sous prétexte qu’il n’est pas arrivé légalement ou qu’il n’a pas fui les bombes. C’est vrai que fuir une lapidation des talibans ou la menace de voir ses enfants enrôlés comme soldats, ce n’est pas fuir une bombe…

Étrange encore une fois. Quand vous n’avez pas respecté une procédure officielle de migration (mais que vous avez risqué votre vie dans les cages libyennes ou sur des canoës bondés en Méditerranée), vous devez retourner dans un « chez vous », parfois lointain, pour avoir le droit de demander à travailler ici. Par contre, quand vous êtes un exilé fiscal belge parti en Suisse ou sur les Îles Caïmans, que vous avez fui l’impôt durant des années, vous pouvez revenir vous faire « amnistier » à condition de donner une petite dringuelle à l’État belge. Deux poids, deux mesures.

Aujourd’hui, plus de 100. 000 sans-papiers vivent en Belgique. Ils sont arrivés pour des raisons plus complexes qu’une bombe, comme c’est souvent le cas dans les migrations, mais n’en sont pas moins exilés d’une réalité qui les a poussés à fuir. Au regard de cette semaine « pénurie », la politique migratoire belge (et européenne) actuelle qui consiste à faire la chasse à ces personnes « illégales » est d’une stupidité sans nom. Une faute morale avant tout, mais aussi une erreur politique et un non-sens économique.

L’argument de « l’opportunité économique » n’est pas mon argument, la non-régularisation des sans-papiers est d’abord une faute humaine. Mais aujourd’hui notre société est en train de s’effondrer, car elle manque de ressources pour assurer les besoins essentiels de ses citoyens et ceux et celles qui s’opposent encore à une régularisation ne le font plus que pour des raisons d’opportunités politiques et par manque de courage.

Le dogmatisme en politique, c’est d’appuyer son action sur une pensée, pas sur une réalité. Aujourd’hui, la peur de ce qu’on appelle un « appel d’air » est une pensée, les pénuries dans de nombreux secteurs et la détresse des sans-papiers sont une réalité…

Image: Photo de Gilles Itzkovitchklein, du 15 septembre 2005

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