Une semaine au Conseil de l’Europe…
Comment vous résumer ces 10 derniers jours à Strasbourg. Un peu compliqué tant les journées au Conseil de l’Europe sont intenses, chargées en réunions, en discussions, en négociations et en émotions. Cette session de janvier 2024 était certainement la plus incroyable depuis le début de mon mandat ici. Incroyable parce que cette nouvelle fonction de président de la “Commission des affaires sociales, de la santé et du développement durable” ( oui c’est long…) donne une intensité de rencontres et de politique, au sens noble, que je n’ai jamais connue. Entre rencontres de délégations, défense des textes en plénière, négociations de commission, inaugurations d’expositions et conférences de presse…chaque minute compte.
Mais cette semaine a aussi été une grande déception pour cette Assemblée qui défend les droits humains et la démocratie. Il est en fait in-croyable, pas croyable, que une institution telle que le Conseil de l’Europe adopte une position si faible sur la souffrance actuelle du peuple palestinien. J’ai vécu l’un de mes pires moments politiques, ceux qui vous font perdre la confiance et l’espoir que vous avez dans ces lieux de défense de la liberté et de l’égalité. J’y reviens en dernier point de cette semaine.
Pour commencer, petit rappel, qu’est-ce que c’est le Conseil de l’Europe? »
Le Conseil de l’Europe (Coe) est une organisation européenne créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour défendre les droits humains, l’État de droit et la démocratie sur le continent. L’institution compte aujourd’hui 46 États membres ( 47 avant l’expulsion de la Russie) et représente…600 millions de personnes. ! C’est donc, après l’ONU, la plus grande organisation dans le monde qui défend les droits humains. Il est composé de trois organes importants :
– L’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) (où je siège et je préside la présidence de la commission des affaires sociales, de la santé et de l’environnement).
– Le comité des Ministres, qui est composés des représentant.e.s de gouvernements des 46 États membres.
– La Cour européenne des droits de l’homme, qui est le bras judiciaire du Conseil.
Le tout a un.e big boss : le Secrétaire général du Conseil de l’Europe ( où Didier Reynders sera peut-être candidat sauf s’il reprend la place de Charles Michel pour les élections européennes. Charles Michel qui ne devait pas être candidat, mais qui a choisi de l’être, mais finalement ne l’est plus).
L’autre poste important c’est celui de “Commissaire aux droits de l’homme”. Cette semaine d’ailleurs, nous avons élu un nouveau commissaire, l’irlandais Michael O’Flaherty
Droit à l’environnement sain.
Exceptionnellement, je suis arrivé la semaine qui précédait la session pour travailler sur mon principal combat au sein de l’assemblée : le droit à l’environnement sain. Pour rappel, j’ai fait voter il y a 3 ans un rapport dans l’Assemblée qui demande la reconnaissance d’un droit à l’environnement sain dans les instruments juridiques du Conseil de l’Europe. En gros, permettre aux 600 millions de citoyen.ne.s du continent de pouvoir être protégé.e.s par un droit à respirer un air de qualité, à s’alimenter sainement, à protéger la biodiversité, la viabilité des générations futures, etc.
Le stuut c’est bien entendu qu’entre ce qui serait l’idéal ( une nouvelle convention qui nous protège avec un tribunal indépendant et décisionnel;, un monitoring de chaque État membre, etc) et la réalité politique ( la droite qui veut faire une “ pause”… ), et bien nous n’y sommes pas encore. Du coup, suite à mon rapport, le comité des Ministres du Conseil de l’Europe a mis en place un groupe de travail technique qui rassemble des juristes et experts de chaque État du Coe pour “ réfléchir à la faisabilité d’un nouvel instrument qui ancre le droit à l’environnement sain”. Bref, c’est aux réunions de ce groupe de travail que j’ai participé durant trois jours la semaine passée. Je vous passe les détails, mais trois jours très techniques pour aboutir au meilleur rapport possible qui sera rendu en Mars au comité des Ministres. Comité qui, au final, décidera de la manière d’ancrer ce nouveau droit.
Je vous ferai une publication plus précise rien que sur cela prochainement.
La déportation des enfants d’Ukraine.
L’un des gros rapports de la semaine était celui qui présentait la situation des enfants d’Ukraine aussi bien que les enfants déplacés en dehors de l’Ukraine que dans le pays. Mais le rapport présentait également cette réalité glaçante qu’est la déportation des enfants ukrainiens par la Russie. Des ONGs ukrainiennes estiment à près de 20.0000 le nombre d’enfants transférés de manière forcée dans des familles russes ou des “camps d’été”. Il s’agit d’une stratégie de “Russification” de la jeunesse ukrainienne par le Kremlin qui tente par ce biais de déstabiliser un pays tout entier. Les déportations d’enfants sont malheureusement une arme de guerre connue et trop souvent utilisée.
La commission que je préside s’est réunie à Paris le 15 décembre pour rencontrer une série d’ONG et d’expert.e.s à ce sujet. Nous avons fini la journée par une réunion à huis clos où j’ai tenté de faciliter entre la croix rouge internationale et la délégation ukrainienne. En effet, la position neutre du CICR lui permet de maintenir un canal de négociation avec la Russie et de tenter de faire revenir ces enfants. Du côté ukrainien, le dialogue avec le CICR n’est pas évident pour toute une série de raisons. Cette semaine, après une allocution de la “First lady” ukrainienne, et le vote du rapport, nous avons inauguré une exposition sur les enfants d’Ukraine. Le travail continue, et je me rendrai prochainement à Genève pour continuer le dialogue avec le comité international de la Croix rouge.
L’impact des campagnes électorales sur les politiques migratoires
Autre rapport qui me tenait particulièrement à cœur cette semaine : la question de la migration en campagne. On le sait, la migration est très souvent instrumentalisée par les conservateurs durant les élections pour diffuser la peur d’une société “en danger”. Un rapport important a été voté à l’Assemblée pour envoyer des recommandations aux États membres sur les postures et les mesures à prendre pour éviter l’accaparement du débat par des populistes de droite.
J’ai écrit dans mon discours pour l’Assemblée que cette montée du discours haineux envers les publics exilés était tout autant due à l’aigreur des partis de droite extrême ( voire de droite) qu’au silence des partis progressistes qui choisissent d’abandonner ce combat. Convaincre qu’un autre projet migratoire, moins mortel et plus humain est possible, nécessite d’aller à contrecourant de cette marée brune qui envahit le monde.
Les abus sexuels sur les enfants dans les institutions chrétiennes.
Rien que le titre donne froid dans le dos. Pourtant, cette horreur est une réalité qu’on subit des milliers d’enfants à travers le continent. Dans le passé, alors que des familles pensaient protéger leurs enfants en les plaçant sous l’autorité de l’Église ( couvent, école catholique, etc.), de nombreux abus sexuels ont été commis sur ces victimes qui depuis ont choisi de témoigner de leur enfer, libérant ainsi la parole de dizaines d’autres. Ces victimes ont subi des dommages physiques et psychologiques et doivent aujourd’hui se reconstruire dans une société qui a trop longtemps nié leur réalité. Des études ont montré que ces personnes, de par les traumatismes vécus, étaient aussi socialement précarisées en raison des difficultés d’intégrations qui découlent de ce passé. Le rapport que nous avons voté en plénière, à l’initiative de mon collègue socialiste suisse, Pierre Alain Fridez, a énuméré une série de recommandations pour les États membres qui comprennent des espaces pour libérer la parole, des compensations pour les victimes et des sanctions contre les institutions responsables. J’ai clôturé le débat en plénière en rappelant qu’aujourd’hui encore, 17 enfants exilés disparaissent tous les jours depuis 2018 et que tout laisse à croire que certains d’entre eux aussi se retrouvent dans des réseaux où la violence sexuelle est quotidienne.
Gaza – Silence et malaise dans l’Assemblée.
Cela fait 120 jours que je mène ce combat contre l’horreur en cours à Gaza. Massacre ou “risque génocidaire” comme le mentionne la cour internationale de justice, le résultat est le même : le peuple palestinien s’éteint.
Cette semaine, l’ APCE a examiné un rapport intitulé « Moyen-Orient : les développements depuis le 07 octobre”. Le texte était affreusement mauvais. Honteux même. Après la condamnation claire de l’attaque terroriste du Hamas ( condamnation que je partage bien entendu), le texte exprimait “sa grande tristesse” au regard du nombre de victimes palestiniennes. Ça vaut donne une idée du deux poids deux mesures dans un texte qui pourtant aurait dû refléter la disproportion de la riposte ( vengeance ?) israélienne. En effet, il était important qu’une assemblée des droits humains prennent une position claire et dénonce le massacre en cours. J’ai donc décidé de bosser sur le texte en déposant 15 amendements afin d’équilibrer le rapport et de visibiliser au sein de l’Assemblée la réalité de la souffrance engendrée par les frappes israéliennes contre les Gazaouis. Les amendements reprenaient les chiffres d’ONG, des Nations Unies, demandaient un cessez-le-feu immédiat, parlaient de la souffrance psychologique des Palestiniens en exils, etc. Rien de révolutionnaire dans une Assemblée qui est censée défendre les droits humains.
Ces amendements ont été présentés une première fois en commission politique. Je suis arrivé en retard ( je présidais la commission) dans une salle remplie et à l’ambiance extrêmement tendue. Une grande délégation israélienne était présente dans la salle, de nombreux membres de l’extrême droite aussi, la plupart me pointant du regard avec des propos et attitudes intimidantes. J’avais au préalable négocié des compromis sous la forme de “sous amendemenst” avec le rapporteur socialiste Piero Fassino, ancien ministre italien. Ces compromis étaient tout à fait acceptables et auraient dû être présentés pendant la commission de manière à équilibrer le texte.. Cependant, surprise, le président de la commission politique (parti de Macron) n’a pas autorisé la défense de sous-amendements oraux. Du coup, le rapporteur (et les membres socialistes/verts pour la plupart) ont rejeté ces amendements et ont voté en bloc avec les autres partis le rejet des améliorations que je proposais. La difficulté n’était pas tant ces attaques de l’extrême droite qui prenait systématiquement la parole contre mes amendements ( Moutquin = terroriste, blablabla), mais plutôt de voir des personnes de mon groupe, des démocrates libéraux et d’autres, votés de concert avec les fascistes de ce continent. Je vous passe les détails, mais après 1h très violente, je suis sorti de là secoué comme jamais avec un profond dégout de la politique et plus que jamais inquiet pour l’avenir des 2,3 millions de Gazaouis qui sont dans le gouffre depuis des mois.
Le lendemain, je ne souhaitais plus défendre ces amendements dans la plénière, car connaissant l’issue du vote, revivre une seconde fois ce lynchage politique n’avait aucune utilité. Alors que je m’apprêtais à quitter l’hémicycle, ne souhaitant pas assister à cette pièce de théâtre, 10 députés se sont levés pour forcer l’assemblée à étudier les amendements pourtant rejetés en commission ( c’est une procédure de recours en quelque sorte). Sans entrain, j’ai donc présenté le premier amendement qui proposait le nombre de personnes déplacées à Gaza ( “ 85%” en remplacement “d’ une partie des personnes à Gaza”). Après un rejet catégorique ( à 75 %) de ma proposition, une membre du staff de l’Assemblée est passée à côté de moi ( je ne vais pas en dire plus pour la protéger). Elle s’est arrêtée près de moi, les mains tremblantes et m’a remercié avec les larmes aux yeux. J’ai reconnu une clé autour de son cou, celle que les Palestinien.ne.s exilé.es portent comme symbole de leur exil forcé qui a débuté en 1948 avec la création de l’État d’Israël et qui se poursuit jusqu’à ce massacre en cours aujourd’hui à Gaza.
La suite des amendements a été rejetée dans la même proportion que le premier, mais je n’ai jamais été aussi fier de défendre le peuple palestinien, son histoire, son présent et son avenir. Je me fiche de ces jeux politiques, je me fiche de ce que ces positions peuvent me coûter politiquement”. Je sais qu’elles sont justes. Justes au regard du droit international qui est notre boussole, juste dans ce combat pour l’égalité entre juifs, athées, musulmans, chrétiens, homos, hétéros qui est mon socle en politique. Juste pour l’idée de la liberté qui a construit le conseil de l’Europe.
Le lendemain, à l’Assemblée, alors que je croyais ma “”carrière politique” terminée ( j’ai plein d’autres projets de vie, pas grave), il s’est passé quelque chose d’assez étonnant. Des dizaines de députés (même de droite) sont venus s’excuser de leur vote et me dire leur honte. Certaines ont les larmes aux yeux. D’autres me parlaient du courage d’aller à contrecourant, des membres du personnel me saluaient avec un grand sourire, plusieurs délégations sont venues me remercier, parler de leur rapport au Peuple palestinien, parfois de leur histoire personnelle.
Alors oui, ce texte voté n’est pas bon ( je ne l’ai d’ailleurs pas voté), mais soyons honnêtes : un texte très bon du Conseil de l’Europe n’aurait rien changé à la folle de Netanyahu. Pas même une décision de la Cour internationale de Justice. Finalement, je suis persuadé que cette séquence a mis le doigt sur un immense malaise politique et aura peut-être permis de faire avancer les consciences. Quoiqu’il en soit, il faut se le rappeler, si la réalité politique est parfois violente, cette violence n’a rien de comparable à celle que subissent les Palestiniens depuis des décennies, et particulièrement depuis plusieurs mois.
Voilà, j’avais envie de vous faire ce petit topo plus complet de cette semaine à Strasbourg. Il manque la cérémonie en mémoire de l’Holocauste, la rencontre avec la délégation arménienne pour défendre cette jeunesse qui se tourne vers l’Europe, la rencontre avec Amnesty, la FIDH et bien d’autres. Mais malheureusement la politique est un équilibre entre production et communication et je peux vous dire que dans des semaines comme celle-là, l’heure n’es pas aux selfies.
Ces jours ont été difficiles en émotion, en réalité politique, en charge de travail ( surtout qu’il faut gérer à distance les affaires nationales pas plus évidentes), mais ces moments sont aussi passionnants et enrichissants. Ils donnent sens à ce qui me guide en politique depuis le premier jour de mon mandat ; être engagé pour celles et ceux d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et de demain. Choisir l’avenir pour tous et toutes.