🌳 Conseil de l’Europe- Á quand la reconnaissance d’un droit Ă  l’environnement sain ?

simon (simon moutquin) moutquin

Simon moutquin

Aujourd’hui est une grande journĂ©e pour la dĂ©fense du droit Ă  l’environnement sain. En effet, la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme (CEDH) Ă  Strasbourg va se prononcer sur trois affaires mettant en cause la responsabilitĂ© des États pour leur manque d’action vis-Ă -vis du dĂ©rĂšglement climatique.

Ce sont au total 32 pays qui sont visĂ©s pour non-respect du “droit Ă  un environnement sain” par les plaignants originaires de Suisse, du Portugal et de France.

Le droit Ă  l’environnement sain, vous vous en souvenez peut-ĂȘtre, c’est justement le combat principal que je mĂšne au sein de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe, l’organe lĂ©gislatif du Conseil de l’Europe (la CEDH Ă©tant son bras judiciaire). Le problĂšme actuel est qu’aucun texte du Conseil de l’Europe ne reconnaĂźt explicitement ce droit Ă  l’environnement sain. Il n’y pas de rĂ©fĂ©rence Ă  ce droit dans notre texte fondateur, la Convention europĂ©enne des droits de l’Homme, ni une convention Ă  part entiĂšre qui protĂšge explicitement les 690 millions de citoyen·nes du Conseil de l’Europe. Actuellement, les juges rendent des avis sur des affaires climatiques en pratiquant ce qu’on appelle « le droit par ricochet », c’est-Ă -dire en faisant rĂ©fĂ©rence Ă  d’autres droits reconnus en Europe, comme l’article 2 de la Convention qui reconnaĂźt le droit Ă  la vie, ou encore l’article 8 qui consacre le droit de la famille.

Les droits humains europĂ©ens ont Ă©tĂ© construits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans une approche basĂ©e sur la libertĂ© des individus. C’est tout l’esprit de la Convention europĂ©enne des droits de l’Homme signĂ©e en 1950, sur laquelle s’est construit le Conseil de l’Europe. Quelques annĂ©es plus tard, l’institution adopte la « Charte sociale europĂ©enne », qui intĂšgre quant Ă  elle des droits sociaux comme le droit Ă  se syndiquer, le droit au logement, etc.

70 aprĂšs la naissance du Conseil de l’Europe, aucun texte n’a apportĂ© de nouveaux types de droits humains, des droits plus collectifs comme le droit Ă  la paix, au respect du patrimoine ou bien sĂ»r Ă  l’environnement sain. Pourtant, la plupart des institutions rĂ©gionales de protection des droits humains hors Europe le reconnaissent dĂ©jĂ . C’est par exemple le cas de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. C’est pour combler ce dĂ©ficit de protection en Europe qu’en 2021, j’ai fait voter un rapport trĂšs important Ă  l’AssemblĂ©e : « Ancrer le droit Ă  l’environnement sain dans les instruments juridiques du conseil de l’Europe ». Ce rapport proposait au ComitĂ© des ministres du Conseil de l’Europe, l’organe exĂ©cutif qui rĂ©unit les 46 ministres des 46 États membres, plusieurs instruments :

A/ Un protocole additionnel Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’Homme. De maniĂšre simplifiĂ©e, c’est un texte ajoutĂ© au texte fondateur de l’institution sur le droit Ă  l’environnement sain de nos gĂ©nĂ©rations et de celles Ă  venir. La Convention a en effet l’avantage d’ĂȘtre connue, efficace, car contraignante, mais reste cependant trĂšs individuelle dans son approche.

B/ Un protocole additionnel Ă  la Charte sociale europĂ©enne. C’est le mĂȘme principe que A/ mais pour le deuxiĂšme texte fondateur du Conseil de l’Europe. La Charte Ă  l’avantage de permettre des saisines collectives (par une association, par exemple), mais est beaucoup moins connue et non contraignante.

C/ Une nouvelle convention spĂ©cifique sur le droit Ă  l’environnement sain avec, pourquoi pas, une Cour Ă  part entiĂšre pour juger des affaires climatiques, de la dĂ©gradation de la biodiversitĂ©, du paysage, etc.

Car, comme expliquĂ© ci-dessus, si des juges ont dĂ©jĂ  reconnu le droit Ă  l’environnement sain “par ricochet” dans certaines affaires, la reconnaissance explicite de ce droit est fondamentale. PremiĂšrement, elle permettrait de mieux dĂ©limiter ce droit et donc d’impacter la maniĂšre dont les pays qui le reconnaissent le protĂšgent. Par exemple, si la Belgique reconnaĂźt dans sa Constitution le droit Ă  un environnement sain, ce dernier protĂšge seulement contre la dĂ©tĂ©rioration de la situation actuelle et ne peut pas ĂȘtre mobilisĂ© pour une politique climatique plus ambitieuse. Ensuite, une reconnaissance de ce droit permettrait de relever les standards en termes de protection des droits humains grĂące au caractĂšre prĂ©ventif du droit. Pour finir, cela faciliterait clairement le travail des juges Ă  la Cour qui ne devrait plus Ă©laborer des contorsions complexes pour protĂ©ger les citoyen·nes.

Depuis le vote – Ă  l’unanimitĂ© – de mon rapport en 2021, le contexte politique autrefois favorable a bien changĂ©. La Covid, la crise Ă©nergĂ©tique et la volontĂ© de « faire une pause » chez les conservateurs europĂ©ens (coucou les EngagĂ©s) ont rendu le soutien Ă  ce droit Ă  l’environnement sain beaucoup moins important aujourd’hui. Le ComitĂ© des Ministres a ainsi mis en place un groupe pour rĂ©flĂ©chir Ă  la « faisabilitĂ© » d’un instrument juridique pour le droit Ă  un environnement sain, groupe dans lequel j’ai siĂ©gĂ© Ă  Strasbourg pendant 3 ans.

En parallĂšle, le Conseil de l’Europe a tenu son 4e sommet historique Ă  Reykjavik il y a quelques mois et a notamment reconnu le droit Ă  l’environnement sain dans une dĂ©claration. Il a dĂ©cidĂ© la mise en place d’un « comitĂ© de Reykjavik » pour continuer Ă  porter le droit Ă  l’environnement sain. Autant dire, pas grand-chose de concret.

C’est dans ce cadre que 3 ans aprĂšs mon premier rapport sur le droit Ă  l’environnement sain, je m’apprĂȘte Ă  faire voter un nouveau rapport la semaine prochaine Ă  Strasbourg sur le suivi de ce comitĂ© de Reykjavik oĂč je demande des actions concrĂštes pour faire reconnaĂźtre ce droit Ă  l’environnement sain.

Cet aprĂšs-midi, des juges se prononceront sur la requĂȘte de dizaines de citoyen.ne.s europĂ©ens. Il est possible que l’affaire soit jugĂ©e non recevable, en partie pour des raisons de procĂ©dures (car la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme ne peut ĂȘtre saisie qu’en cas d’épuisement des voies juridiques internes). Mais quoiqu’il en soit, le courage de ces personnes me pousse Ă  continuer ce combat pour armer juridiquement les citoyen·nes dans la dĂ©fense d’un environnement sain et pour que plus de 690 millions de personnes, ainsi que les gĂ©nĂ©rations futures, soient protĂ©gĂ©es.

Article sur le verdict attendu :

https://www.lecho.be/dossiers/climat/climat-un-verdict-historique-sur-l-action-des-etats-europeens/10538628.html?_sp_ses=0d9ab0df-56ea-4f7f-98b4-aebc7a0dcbe0

Mon rapport:

https://pace.coe.int/fr/files/29409/html

Dans la mĂȘme catĂ©gorie…