Il y a quelques jours, je vous partageais l’immense joie de Divine et de ses proches à l’annonce de sa régularisation. Merci d’ailleurs pour les centaines de messages reçus que je lui transfère. La vie commence pour elle : le bonheur de pouvoir circuler sans peur, trouver un emploi, passer son permis de conduire, etc.
Mais, quelques jours après cette bonne nouvelle, j’avais envie de vous partager le fond de colère qui se cache derrière cet événement. Colère contre ce temps et cette énergie perdus, colère contre ce système qui oppresse et décourage les personnes à commencer une nouvelle vie chez nous.
🚶🏽♀️➡️L’histoire de Divine, c’est celle de milliers de personnes.
Après une demande de protection internationale refusée, Divine a déposé six demandes de régularisation 9 bis sur dix ans. Durant cette période, elle a été arrêtée et enfermée 110 jours en centre fermé. Des centaines de personnes se sont mobilisées pour Divine (une manifestation de 800 personnes dans un village de 1 000 habitants), à commencer par la petite école de Gentinnes où Divine, « Madame sourire », fait un volontariat pour accueillir les élèves depuis des années.
Après dix ans, Divine est donc en possession d’un titre de séjour. Des années de procédures et de combats qui épuisent, écorchent et brisent les âmes de ceux et celles qui décident de se battre. Comme (ancien) mandataire politique, mon rôle n’est pas celui d’un avocat ou d’une autorité judiciaire. Je n’ai jamais su le passé de Divine, et cela ne m’intéresse pas. Je me suis battu avec beaucoup d’autres pour son présent et son avenir. Par contre, le rôle du politique est bien de critiquer ou de changer les lois dans l’intérêt du plus grand nombre de citoyen.ne.s possibles.
Notre rôle, face à cette montée des discours anti-migratoires, est bien d’expliquer les injustices, de rester indignés et de continuer à défendre une vision humaine de l’accueil des exilé.e.s. Du coup, voici une petite analyse de ce que l’histoire de Divine signifie pour elle, pour toutes les autres personnes exilées et pour nous-mêmes.
L’histoire de Divine est celle de milliers d’autres. Sauf que la fin n’est pas toujours heureuse.
Une histoire sans fin.
Pour comprendre à quel point notre système est ridicule et inhumain, il faut revenir sur certains termes employés et sur la manière dont le parcours d’asile est conçu en Belgique.
La « protection internationale » peut être demandée par n’importe quelle personne qui a des raisons de craindre une persécution dans son pays d’origine. Cette protection peut prendre deux formes : soit la personne est reconnue comme « réfugiée » (situation de guerre, telle que définie dans la 4ᵉ convention de Genève), soit elle bénéficie d’une protection subsidiaire (c’est-à-dire que le pays hôte estime, après analyse, que la personne court un risque dans son pays d’origine en raison de son genre, de son ethnie, de sa religion, etc.).
Durant le traitement de cette demande par le CGRA, les personnes doivent être accueillies dans un réseau d’accueil (géré en Belgique par Fedasil). La « crise de l’accueil » en Belgique est une conséquence d’une augmentation du nombre de demandes de protection, d’un manque de places et d’un embouteillage dans les centres Fedasil (les procédures au CGRA sont longues). En réalité, elle est surtout le signe d’un manque de volonté politique, voire d’une certaine volonté de maintenir le réseau en tension pour dissuader de nouvelles demandes en Belgique.
En cas de protection octroyée, la personne obtient un titre de séjour et des droits, notamment sociaux, équivalents à ceux des citoyens belges. J’aurai l’occasion d’y revenir, mais c’est notamment à cela que l’Arizona veut s’attaquer pour dissuader les migrants de venir « chez nous » (vu ce qui est sur la table, « Les Engagés chez nous » pourrait être leur prochain nom de parti).
En cas de refus, la personne peut :
* Décider de faire un recours auprès du Conseil du Contentieux des Étrangers (CCE),
* Décider de quitter le territoire,
* Rester sans titre de séjour sur le territoire belge.
Le « petit bonheur la chance » …ou la roulette russe.
Cette dernière catégorie regroupe ce qu’on appelle les personnes « sans-papiers », qui sont en réalité des personnes « sans-droits », « sans-existence », « sans-sécurité ». C’était la réalité de Divine pendant près de dix ans, et c’est toujours celle de milliers d’autres, puisqu’on estime à 120 000 le nombre de personnes sans titre de séjour valable en Belgique (étude 2023 de la VUB).
Si Divine a finalement obtenu ce titre de séjour, c’est en utilisant, pour la sixième fois, l’article 9 bis de la loi de 1980, qui permet de déposer une demande de régularisation exceptionnelle sur la base de raisons humanitaires. Un autre article de cette loi, le 9 ter, permet à des personnes sans-papiers de demander une régularisation pour des raisons médicales.
Que dit cet article 9 bis ? Sur le site de l’Office des étrangers (OE), qui dépend du ou de la secrétaire d’État, on peut lire : « L’OE apprécie les circonstances exceptionnelles au cas par cas et dans leur ensemble. Une évaluation est faite sur la base des éléments positifs et négatifs. »
En toute logique, la question qui suit est : quels sont les éléments positifs et quels sont les éléments négatifs qui permettraient, ou non, à une personne sans-papiers de déposer une demande de régularisation ? En fonction de ces éléments, chaque personne sans-papiers pourrait donc connaître ses chances de pouvoir bénéficier d’un titre de séjour.
Pour répondre à cette question, j’ai interrogé près d’une cinquantaine de fois le (puis la) secrétaire d’État en commission durant mon mandat parlementaire. J’illustrais à chaque fois mes questions en reprenant des profils de sans-papiers déboutés, qui comportaient pourtant des « éléments positifs » supposés favoriser l’octroi d’une régularisation sur la base de l’article 9 bis : preuve d’intégration socio-économique (travail, diplôme, engagement citoyen), longue durée de séjour, enfants scolarisés, etc.
Pourtant, en cinq années, aucune réponse ne m’a permis de comprendre la logique de cet équilibre entre éléments positifs et négatifs.
Pire, ma conclusion de ces cinq années de combat pour les droits des personnes sans-papiers au parlement est celle que font des centaines d’avocats et d’associations depuis des années : le traitement des personnes sans-papiers repose sur une sorte de loterie cynique, sur « le fait du prince », et entretient l’opacité de la procédure pour maintenir les sans-papiers dans l’incertitude, voire les décourager de rester sur le territoire (qu’ils ou elles habitent depuis parfois plus de dix ans).
L’indécence du système a été particulièrement flagrante lors de la grève de la faim des sans-papiers. Après avoir déposé collectivement des demandes de régularisation via l’article 9 bis, plus de 400 personnes ont reçu des réponses qui ne suivaient aucune logique. Certaines personnes se sont vu refuser un titre de séjour sous prétexte, comme élément négatif, qu’elles n’étaient pas en situation légale… alors que c’est précisément la raison pour laquelle elles demandaient une régularisation. D’autres, ayant des dossiers équivalents comprenant les mêmes éléments supposément positifs, ont reçu des réponses négatives.
Un autre exemple révélateur de l’absurdité de cette procédure est l’histoire de Divine. Quels sont les éléments nouveaux qui ont permis à son avocate de remporter cette sixième demande de régularisation ? Aucun. La demande a été déposée avec les mêmes arguments que les précédentes, probablement racontés autrement et étayés (notamment sur la question de l’intégration), mais globalement similaires à ce qui avait été présenté auparavant.
Qui sont les sans-papiers ?
Durant le combat de Divine, surtout pendant ses 110 jours d’enfermement en centre fermé, des milliers de personnes se sont mobilisées. Collègues, ami.e.s, voisin.e.s, anonymes ont participé à imposer une pression médiatique et politique pour mettre en lumière son histoire et la volonté collective de la voir rester en Belgique. Quelques années auparavant, c’est cette même pression populaire qui avait permis à la famille Yussufi de Grez-Doiceau d’obtenir un dénouement heureux. La pression citoyenne est donc un cailloux dans la chaussure de l’Office des Etrangers
Pour les Yussufi, pour Divine et pour tant d’autres, ces victoires arrivent après des années de luttes, de procédures judiciaires coûteuses (pour les personnes concernées et pour le contribuable), parfois accompagnées de périodes d’enfermement en centres fermés (également coûteuses, tant psychologiquement que financièrement), et avec des énergies et du temps dépensés, de la rue au Parlement. L’intégration, la joie qu’elle apporte aux élèves, la connaissance de son pays d’accueil : tout cela était déjà évident depuis des années. Il a pourtant fallu attendre une décennie pour que ces éléments soient reconnus par une instance administrative totalement opaque dans son traitement des sans-papiers.
Tout ça, pour ça.
Colère…
Combien de Divine en Belgique sans ce formidable soutien citoyen d’une école, d’ami.e.s, de voisins ? Combien de personnes subiront des existences dans la peur voire des enfermements faute d’une mobilisation citoyenne ?
Depuis des années, des avocats, des associations et certains partis politiques (en vérité, surtout les écologistes) dénoncent ce manque de clarté dans la loi, qui entraîne des situations à la fois absurdes et inhumaines. Les solutions sont simples : il faut définir des critères clairs et permanents de régularisation, encadrés par une commission indépendante. Ces critères n’empêcheraient pas de conserver un pouvoir discrétionnaire pour des cas particuliers, mais ils apporteraient un cadre, de la prévisibilité et de l’humanité au processus.
Les sans-papiers sont des voisins, des parents qui déposent leurs enfants à l’école, des anciens étudiant.e.s diplômé.e.s de nos universités, des travailleurs qualifiés. La plupart travaillent déjà : ils produisent, consomment, et contribuent (+0,3 % du PIB selon la Banque nationale de Belgique). Avec leurs proches, ils ont, comme tout le monde, des projets et des rêves.
Ce qui les différencie, c’est qu’ils sont invisibles administrativement, exploités dans des secteurs avides de main-d’œuvre bon marché, sans pouvoir prétendre à une quelconque protection. Ces personnes vivent dans la peur constante : peur d’être arrêtées devant l’école où elles déposent leurs enfants, peur à la vue des policiers dans les transports en commun. Elles sont des cibles faciles pour les réseaux criminels, prêts à exploiter leur vulnérabilité. Elles ne sont jamais en sécurité.
Continuer la mobilisation, résister à ce qui nous arrive. Ce qui leur arrive.
Et c’est encore aujourd’hui le quotidien de milliers de personnes. C’est Billy Sacko, toiturier à Gouvy, c’est Diéme, technicien de surface à l’hôpital de Nivelles durant le covid et aujourd’hui arrêté au centre fermé de Bruges ( le pire ! ), c’est Mohammed, mon ami poète, c’est Nesra ici depuis 20 ans, mère de deux enfants et grande passionnée de la littérature française, c’est Fouiza, en Belgique depuis 9 ans enfermée depuis quelques jours avec Sabine, propriétaire de deux restaurants en Belgique.
Chaque histoire d’une personne sans-papiers est complexe, unique, poignante. Essentialiser les sans-papiers à des considérations sécuritaires est une paraisse intellectuelle qui révèle surtout un manque d’humanité.
L’horizon pour les personnes exilés est bien sombre. Souvent critiquée, l’extrême-droite américaine aujourd’hui au pouvoir inspire en réalité de plus en plus de décideurs politiques en Europe et ailleurs. Le gouvernement Arizona qui s’annonce sera dévastateur.
C’est à nous de reprendre le récit pour imposer une tout autre histoire, à nous d’affirmer que l’accueil d’exilé découle de notre socle commun, les droits humains, à nous de défendre les invisibles plus que jamais la cible des conservateurs en tout genre.
Puisque le combat de Divine et d’autres a été porté par un soutien citoyen, je ne voulais pas finir sans vous encourager à partager celui des autres.
Mais n’hésitez pas à partager également ces pétitions ou d’autres !