Les exilés afghans dans notre pays sont confrontés à un véritable no man’s land: privés pour beaucoup de protection internationale, ils ne sont pas non plus expulsables. Voilà comment notre politique d’asile actuelle se transforme en usine à « sans-papiers ».
Le combat pour une politique migratoire juste et humaine est devenu plus idéologique que rationnel. La crise de l’accueil qui prive des milliers de personnes d’une aide matérielle, les tabous autour de la régularisation des personnes sans-papiers ou encore les blocages autour d’une politique migratoire européenne solidaire nous montrent que systématiquement, le rationnel a laissé place à une posture électorale sur fond de peur entretenue par les partis d’extrême droite. Le sort réservé aux Afghans et Afghanes chez nous est représentatif de cette politique hors-sol, ni logique, ni humaine.
En août 2020, les talibans reprennent le pouvoir dans un pays détruit par des décennies de guerre. Malgré les promesses faites à la communauté internationale, le régime islamiste renoue avec ses vieilles méthodes de répression envers les femmes, les opposants, les journalistes, les minorités ou la communauté LGBT. Par ailleurs, la situation socio-économique du pays est devenue catastrophique et des millions de personnes sont aujourd’hui menacées par la famine.
Pas de statut pour un réfugié afghan sur deux
Depuis cette prise de pouvoir, des milliers d’Afghans ont choisi de s’exiler et certains trouvent refuge chez nous. Sur les 2,6 millions de réfugiés afghans dans le monde, la plupart se sont installés dans les pays limitrophes (85% au Pakistan ou en Iran) et seuls 13% (338.000 personnes) ont choisi de rejoindre l’Europe, dont une grande partie (près de 50%) en Allemagne. Comparé à la population européenne, le nombre d’Afghans reste donc extrêmement limité. Sur l’année 2021, environ 7.700 Afghans ont déposé une demande de protection internationale dans notre pays et ils occupent actuellement 26% des places dans nos centres d’accueil, dans l’attente d’une décision d’octroi de protection depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.
Le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA) a octroyé un statut de protection internationale, que ce soit le statut de réfugié ou de protection subsidiaire, à seulement 52% des demandeurs d’asile afghans depuis la chute des talibans, considérant de facto que la vie des 48% d’autres ressortissants n’était pas spécialement en danger du fait de l’arrivée au pouvoir des talibans.
Ce taux de protection des demandeurs d’asile afghans risque d’encore drastiquement descendre. En effet, la nouvelle politique de traitement des dossiers afghans adoptée par le CGRA en 2022 consiste à considérer que le niveau de violence aveugle à l’encontre des civils en Afghanistan a diminué avec l’arrivée au pouvoir des talibans. Les demandeurs de protection internationale afghans ne bénéficient donc désormais plus, de manière générale, du statut de protection subsidiaire, largement accordé auparavant.
« Usine à sans-papiers »
Il n’est pas de mon ressort de décider qui doit ou non recevoir une protection et je respecte l’indépendance du CGRA, bien que d’autres organes comme le Conseil du Contentieux des Étrangers aient critiqué cette nouvelle politique de reconnaissance. La question suivante doit cependant être posée: quel est l’avenir de ces demandeurs d’asile afghans déboutés? Des milliers d’entre eux, hommes, femmes et enfants, vont se retrouver dans nos rues avec un ordre de quitter le territoire, mais sans pouvoir le quitter. En effet – et c’est une bonne nouvelle, on ne collabore pas avec les islamistes – la Belgique n’a pas signé d’accords de réadmission avec le pouvoir taliban à Kaboul. Voilà comment notre politique d’asile actuelle se transforme en usine à « sans-papiers ». Elle met à la rue et à la merci de tous ses dangers des personnes qui n’ont ni avenir en Afghanistan ni reconnaissance chez nous.
Voilà comment la politique migratoire pousse des milliers de personnes dans un « No man’s land » et dans une vie cauchemardesque, sans droits, sans accès au moindre service, sans avoir la possibilité de déposer une plainte, et dans la crainte d’être enfermées.
Par ailleurs, les Afghans occupent aujourd’hui plus d’un quart des places d’accueil du réseau Fedasil, aujourd’hui complètement saturé. Les centres d’accueil sont donc occupés par des personnes qui, quelle que soit la décision du CGRA, ne peuvent pas quitter la Belgique.
Aujourd’hui, la logique, sinon l’évidence, c’est de sortir les ressortissants afghans des centres d’accueil et leur octroyer un titre de séjour provisoire leur permettant d’avoir accès au marché du travail, tout en poursuivant leur procédure de protection internationale. Cette mesure doit également être portée au niveau européen pour répartir solidairement les exilés afghans qui ont choisi l’Europe pour trouver un espace pour vivre en paix et en sécurité.
Il était normal et nécessaire d’octroyer une protection temporaire aux Ukrainiens et Ukrainiennes qui fuyaient et fuient encore les bombes de Poutine. Il est normal et nécessaire de faire de même aujourd’hui pour les Afghans et Afghanes qui fuient la famine et la terreur talibane.
Publiée dans l’Écho : https://www.lecho.be/opinions/carte-blanche/une-politique-migratoire-illogique-et-inhumaine/10431871.html