Migration, loi retour et Frontex – Réponses aux interpellations

Monsieur ,
Madame,

Merci pour votre courrier d’interpellation. Plusieurs jours  se sont écoulés depuis son envoi et je dois avouer ne pas avoir trouvé la meilleure manière de répondre vu la situation de ces dernières semaines ces derniers mois, voire de ces dernières années. Je suis conscient que la réponse ci-dessous ne sera pas suffisante au regard des critiques justifiées que vous exprimez, mais j’espère au moins pouvoir faire preuve d’honnêteté.  Il ne s’agit pas de tenter d’avoir raison, mais bien de répondre à certains éléments que vous reprenez dans votre email. D’entrée je souhaite être clair : le vote de cette “loi frontex » est un échec que nous devrons assumer politiquement.. 

Sous cette législature, Ecolo a questionné sa participation à trois reprises, toutes concernaient la question de la migration ; en juillet 2022 durant la grève de la faim des personnes sans-papiers, en 2023 avec cette crise de l’accueil qui durait et le refus par nos partenaires de nos propositions de solutions structurelles et ces dernières semaines autour de ce bilan global et du vote de cette loi.

Nous avons collectivement (la décision est bien collective chez Ecolo) décidé de rester dans le gouvernement, non pas par calcul électoral (qui peut penser qu’il serait gagnant ?) mais bien car nous estimons que, face aux majorités parlementaires alternatives (avec la NVA…), poursuivre le combat pied à pied était la meilleure façon d’obtenir certaines avancées et surtout d’éviter de nouvelles défaites sur le front de la migration et surtout de protéger les premières personnes concernées.

Ce calcul du “sans nous ce serait pire” ne nous dédouane pas de notre responsabilité. La réponse que je souhaite adresser au nom du groupe Ecolo n’est pas une tentative de justification mais un message d’explication de nos réalités et du contenu des textes mentionnés. Je souhaiterais donc revenir sur la “loi retour” qui fait l’objet d’une partie des interpellations avant de revenir sur la transposition dans la “loi Frontex” et conclure sur le bilan général de ces dernières années en matière de politique d’asile et de migration.   

La loi retour  

Une partie de vos interpellations évoque la loi retour débattue il y a deux semaines et votée jeudi dernier au Parlement. Cette loi est le résultat d’une négociation au niveau du gouvernement et d’un accord survenu le 7 mars 2023. Sans nier les aspects négatifs de la loi sur lesquels je vais revenir, je ne partage pas l’analyse selon laquelle cette loi va aggraver la criminalisation des sans-papiers,  pas plus qu’elle ne va permettre des expulsions massives ou des enferments massifs comme le suggèrent certains emails. La “loi retour” n’allonge pas non plus la durée maximale de détention déjà prévue dans la loi.  L’obligation de coopérer que vous évoquez est déjà une réalité pour les personnes sans-papiers et ces dispositions de loi ne changent rien à la situation actuelle. Loin de moi l’idée de vouloir atténuer les dispositions négatives de cette loi, je souhaite vous partager les éléments qui ont poussé Écolo à l’époque à accepter le résultat de mois de négociation.

Progrès de la loi retour 

  • ⁠  ⁠L’inscription dans la loi de l’interdiction de l’enfermement des mineurs (alors que cela avait été refusé par les partis flamands + MR il y a un an). Cela sera désormais ancré dans la loi pour qu’il ne soit plus jamais possible d’enfermer des enfants en Belgique. La Belgique va ainsi plus loin que le droit européen en la matière. Le courrier semble suggérer la “ faible victoire” que cela constitue. Pourtant, la Belgique devient le second pays européen à protéger d’un enfermement les enfants et leurs familles. Cette disposition a provoqué la colère de la NVA qui attaque la Vivaldi au nord du Pays sur “cette victoire des écologistes”.  Quand nous lisons ce week-end que le CD&V est prêt à revenir sur cette disposition, cela nous montre que nous avons bien fait de le solidifier dans une loi afin de pouvoir apporter toutes les résistances possibles au Parlement à l’avenir. 
  • ⁠  ⁠Le gouvernement a décidé d’ancrer dans la loi un « trajet d’accompagnement » pour les personnes en séjour illégal, comprenant plusieurs étapes avant un éventuel retour forcé. La première étape implique également la société civile et vise à rechercher des possibilités de séjour restantes. Cela constitue une véritable avancée et pourrait permettre aux 25 % de sans-papiers qui n’ont pas connaissance de leur possibilité de séjour de recevoir une bonne information et non un trajet de retour. Le projet de loi inscrit par ailleurs les alternatives à la détention, et ce n’est seulement qu’en dernier recours qu’on peut maintenir une personne en centre fermé.  Comme je l’ai souligné en plénière cette semaine, l’échec principal de cette loi est de penser la solution uniquement en termes de retour sans reconnaitre l’urgence d’une régularisation des personnes sans-papiers, mais j’y reviens ci-dessous.  
  • ⁠  ⁠Le gouvernement a décidé d’ancrer dans loi la publicité des rapports de contrôle des expulsions forcées de l’AIG (organe de contrôle des expulsions forcées). Pour les écologistes, il était essentiel que la loi garantisse le caractère public de ces rapports au vu des droits fondamentaux qui sont en jeu et des abus ayant déjà eu lieu dans le passé.
  • ⁠  ⁠Le gouvernement a décidé d’étendre le contrôle judiciaire de la détention des étrangers en centre fermé. Désormais, le juge devra également contrôler le caractère « approprié » de la détention, « à la lumière de l’efficacité de mesures moins coercitives ». Si le gouvernement n’a pas accepté un contrôle d’opportunité, ce que nous réclamons, cela améliore néanmoins le contrôle actuel. Pour les écologistes, au vu des droits fondamentaux qui sont en jeu, il est essentiel que le pouvoir judiciaire puisse contrôler l’action de l’administration en la matière.
  • ⁠  ⁠Adaptation de la loi sur la pénalisation du séjour illégal et inscription d’une condition supplémentaire avant de pouvoir prononcer une peine de prison pour séjour illégal: impossibilité d’imposer une peine pénale pour séjour irrégulier si, au préalable, toutes les mesures d’exécution d’une décision de retour, prévues par la directive retour, n’ont pas été prises ( mais entendons-nous bien, nous continuons à vouloir la suppression simple du séjour illégal)

Par ailleurs, il faut également souligner que le projet de loi s’accompagnait d’autres mesures transposées dans d’autres textes :

  • une meilleure protection des femmes exilées victimes de violences conjugales,
  • un statut pour les parents d’enfants réfugiés (notamment les filles à risque de subir des mutilations génitales),
  • des engagements pour réduire la liste du nombre de personnes en attente dans le réseau d’accueil (création de nouvelles places et sortie des centres avec titre de séjour des demandeurs d’asile longues durées).

 

 Reculs dans la la loi retour 

Vous avez raison de souligner les aspects négatifs de la loi retour contre lesquels nous nous sommes battus : les tests médicaux obligatoires et l’élargissement des escortes pour les retours forcés. Il faut cependant revenir sur les balises que nous avons pu obtenir, sans pour autant défendre ces dispositions de la loi que nous ne souhaitions pas. 

Sur les tests médicaux obligatoires précédant une expulsion ;  alors que le Ministre de la Santé Vooruit (et la plupart des partis à la table du gouvernement) les souhaitait sans aucune restriction nous avons imposé des conditions très strictes :

  • uniquement les examens médicaux qui seront listés dans un Arrêté Royal délibéré en conseil des Ministres,
  • uniquement pour des maladies graves déclarées officiellement par l’OMS comme «urgence de santé publique internationale » ou comme pandémie internationale,
  • interdits pour les mineurs,
  • uniquement sur les personnes en bonne santé,
  • uniquement si aucun autre document justificatif accepté,
  • uniquement si exigé par le pays de destination/transit…

Ces balises ont fait dire aux partis d’opposition que les tests médicaux obligatoires étaient rendus impossibles à cause des écologistes. Nous n’avons pas cette certitude, mais cela les rend en tout cas peu probables.

Sur l’élargissement des escortes,  j’y reviens dans mon second point étant donné que c’est une raison de votre interpellation.

Par ailleurs, le projet de loi retour initial comprenait des mesures chères à d’autres partis du gouvernement comme les visites domiciliaires (voulue par le MR, vooruit, le CD&V et l’Open Vld) que nous avons écartées à plusieurs reprises pendant 4 ans, de même que l’autorisation de l’usage de la contrainte par les agents de l’OE ou l’extension des possibilités d’éloignement depuis la prison des étrangers ex-détenus (augmentation des délais pendant lesquels les étrangers en séjour illégal ex-détenus pouvaient être maintenus en prison pour préparer leur retour forcé)…

Nous sommes satisfaits d’avoir pu éviter ces dispositions soutenues par une majorité des partis dans et hors du gouvernement.

La loi “Frontex”

 

C’est dans le contexte de cet accord qu’intervient la disposition permettant le déploiement d’agents de Frontex sur le sol belge. La “Loi Frontex” est une opérationnalisation de l’accord du 7 mars 2023 qui a pris forme dans “la loi retour”. La possibilité pour les Etats membres de faire appel à Frontex résulte d’un Règlement européen qui laisse aux Etats membres la latitude des interventions de Frontex. Depuis la création de l’agence, les écologistes sont à l’avant-garde de la critique de Frontex et de toutes les politiques de refoulement des personnes exilées à nos frontières européennes.  Outre le travail réalisé par les verts européens, nous avons déposé au Parlement une résolution contre les push backs, résolution malheureusement bloquée par le MR.  

Tout en reconnaissant les critiques et en partageant les nombreuses craintes exprimées sur le fonctionnement de l’agence Frontex, accusée de violations des droits humains, je crois qu’il faut éviter de diffuser des informations qui ne sont pas correctes et pourraient aggraver l’angoisse légitime des personnes sans-titre de séjour sur le territoire belge. Contrairement, par exemple, à certaines affirmations, les agents de frontex ne pourront pas “procéder à des privations de liberté sur le territoire belge – dans la rue, à la sortie des centres d’accueil, dans les transports en commun, à la gare [sous réserve de la gare du Midi] ou au commissariat “. Et il n’y aura pas de disposition qui leur permettrait, le cas échéant, d’agir seuls dans l’attente d’une force de police belge. 

Ecolo a exigé et obtenu plusieurs limites et conditions très strictes aux interventions des 100 agents de Frontex sur le sol belge:

  • Les agents de Frontex sont explicitement placés sous l’autorité et la supervision des autorités nationales compétentes, en particulier d’un fonctionnaire de police belge. Ainsi, ils ne pourront exercer leurs compétences qu’à condition qu’un fonctionnaire de police belge soit toujours présent. Ils n’agissent donc jamais de manière autonome.
  • La loi limite donc les compétences de contrôle aux frontières: “vérifications aux frontières» et  “surveillance des frontières”. Cela sera précisé dans un arrêté royal qui doit suivre le vote au Parlement.  L’arrêté royal préparé définit les zones de l’intervention des agents ; aéroports, gares internationales (la Gare du midi) et ports dans le cadre du contrôle. Dans le cadre des “missions de retour”, seuls l’extérieur des prisons et lieu de détention sont concernés; 
  • Les agents de Frontex sont assimilés à des fonctionnaires de police en ce qui concerne l’application du droit pénal (par exemple, circonstances aggravantes pour les actes de violence à leur encontre), ainsi que la responsabilité civile (par exemple, aide juridique, intervention de l’Etat belge sauf en cas de faute grave, de faute intentionnelle ou de faute légère présentant un caractère habituel) ; 
  • Ils ne sont pas autorisés à porter des armes dans le cadre de leur mission d’assistance au retour de personnes expulsées ; 
  • Ils peuvent procéder à des arrestations uniquement de nature administrative (et non judiciaire) ;
  • Enfin, il ne peut pas y avoir plus de 100 agents Frontex en poste simultanément en Belgique. 

Nous avons mené un combat de plusieurs mois concernant ce projet de loi Frontex, essentiellement pour baliser un maximum les moyens et les zones d’intervention de l’agence européenne. Ces dernières semaines, au regard de la crise de l’accueil qui s’intensifie au vu des derniers chiffres reçus et malgré les engagements pris par la Secrétaire d’Etat, nous avons souhaité faire annuler cette disposition et avons mené des négociations ardues, jusqu’au dernier moment avant le vote au Parlement. De très nombreux contacts ont été pris avec le secteur associatif, les syndicats, le Premier ministre, et d’autres députés pour faire retirer cette loi de l’agenda. C’est la principale raison de cette réponse tardive étant donné que nous ne connaissions pas l’issue de nos initiatives. Vous connaissez le résultat de cette dernière bataille autour d’un texte de migration.

L’approche des élections, la montée de l’extrême droite au Nord, le risque d’une opérationnalisation bien pire du règlement européen nous ont isolé politiquement davantage encore que nous ne l’avons été ces dernières années sur l’asile et la migration.

Nous ne sommes pas parvenus à empêcher le vote de cette loi et devons aujourd’hui assumer un compromis alors que nous avons un problème de principe par rapport à l’intervention de Frontex sur notre territoire. Certains diront  que la transposition du règlement européen aurait pu être opérationnalisée dans une loi sans ces balises obtenues mais nous savons que l’argument du “moindre mal” est faible au regard de ce que représente l’agence Frontex.

Au nom de l’ensemble du groupe, plusieurs député.e.s Ecolo se sont abstenus lors du vote. Toutes et tous dénonçons ainsi collectivement à travers ces votes, en tant qu’écologistes, les manquements de la politique migratoire belge telle que menée ces dernières années.

Le bilan de la législature 

Nous n’allons pas tourner autour du pot : le bilan du Gouvernement en matière de politique d’asile et de migration n’est pas positif. Les mesures positives reprises ci-dessous, les milliers de places d’accueil créées ( mais insuffisantes), la baisse de la redevance pour le 9bis,et d’autres dispositions ne suffisent pas à voir le verre à moitié plein. C’est un échec de toute personne qui porte le projet d’une politique migratoire plus humaine, un échec collectif de la Vivaldi, un échec pour le respect des droits humains et de l’Etat de droit. C’est surtout un grave échec pour les premières personnes concernées.  

Nous ne sommes pas parvenus à contrecarrer le récit dominant depuis longtemps à propos de la migration, sujet quasi exclusivement abordé dans une approche sécuritaire. La crise de l’accueil perdure depuis plus de deux ans alors que tout le monde connaît les solutions structurelles nécessaires et évidentes que nous n’avons cessé de mettre sur la table du gouvernement: un plan de répartition ou la sortie des centres des publics non expulsables représenterait des milliers de places facilement mobilisables. La question des sans-papiers est restée un déni de la Vivaldi malgré l’une des plus importantes grèves de la faim qu’ait connues notre pays. Pire, l’Etat belge a été condamné des milliers de fois par des tribunaux ou par la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg.  Au regard de ces constats, nous ne pouvons que constater cet échec, notre isolement politique et culturel dans la société et notre incapacité à peser suffisamment sur les politiques menées actuelles. Cela doit changer et nous savons que nous n’y arriverons pas de manière isolée. En effet, le ressenti des citoyen·nes vis-à-vis des questions migratoires semble intimement lié au discours politique majoritaire sur le sujet. Lors de l’invasion russe de l’Ukraine, l’approche positive du gouvernement sur l’accueil de milliers d’Ukrainiens a (heureusement) suscité une solidarité sans égale. Mais c’est un réel deux poids deux mesures par rapport aux autres publics en exil qui n’ont pas bénéficié de la part des principaux partis politiques un tel accueil. Cela illustre le combat culturel à mener : les écologistes étant isolés sur la scène politique, sur l’asile et la migration, nous avons besoin de forces extérieures, de la société civile et de collectifs pour contrebalancer le discours ambiant tout en ayant conscience que c’est aussi notre rôle de convaincre nos (éventuels) partenaire.

Pourtant, nous nous sommes battus chaque semaine pour bloquer des mesures inacceptables, créer de nouvelles places d’accueil, ou promouvoir la nécessité d’une régularisation. Au gouvernement, dans les parlements où nous siégeons, dans les occupations et ailleurs, nous avons sans relâche essayer d’obtenir des avancées dans ce contexte d’une classe politique tétanisée par la montée de l’extrême droite et incapable de se rendre compte qu’elle en diffuse les idées en abordant la question migratoire de manière obstinée sous un angle sécuritaire.

Cette réalité n’est pas que la nôtre et nous n’en sommes pas les premières victimes. Les victimes se trouvent dans les centres fermés que nous visitons tous les mois, dans les rues de Bruxelles, ou dans des occupations précaires, à attendre une place d’accueil à laquelle elles ont droit. Elles sont aussi aux frontières de l’Europe bientôt soumises à un pacte migratoire européen contre lequel nous nous sommes également battus.

Ce constat n’est pas un dédouanement de notre responsabilité. Nous devons tirer les leçons de cette participation et, avec tous les partis et organisations progressistes, au Sud mais aussi, impérativement, au Nord du pays, nous ressaisir et porter avec plus de force un récit alternatif à celui de l’extrême droite qui contamine la plupart des formations politiques. Nous devons oser porter un projet et un récit positif et humain sur les politiques migratoires qui ne peuvent plus être une variable d’ajustement électoral.

Votre choix pour le 9 juin vous appartient et il vous revient d’évaluer l’engagement, la détermination et les résultats de chaque parti ou candidat. De notre côté, avant cette échéance électorale et les négociations qui suivront, nous reconnaissons la nécessité d’une remise en question et le besoin de nouvelles stratégies collectives, à réfléchir avec vous, en tenant compte de la réalité des personnes que nous n’avons cessé de défendre, parfois seuls contre tous.

Quelle que soit la donne politique issue du prochain scrutin, les écologistes défendront plus que jamais une régularisation des personnes sans-papiers, des mesures fortes pour sortir de la crise de l’accueil, le respect des droits humains et celui de l’Etat de droit qui fut insupportablement malmené ces dernières années.

Je reste et nous restons à votre disposition pour mener ces combats de la manière la plus efficace possible.

Simon Moutquin,

Pour les groupe Ecolo

 

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